Drancy et l'eau de puits

Il n'y a pas si longtemps, durant toute la seconde partie du 19e siècle, il fallut s'en remettre à un seul puits pour désaltérer des Drancéens assoiffés.

Le président expose au conseil toute la difficulté qu’éprouvent les habitants de la commune et les nombreux ouvriers de son vaste territoire composé de 800 hectares pour avoir de l’eau potable, étant obligés pendant les grandes chaleurs, au milieu du travail de la moisson, d’aller disputer aux moutons et aux chiens l’eau de quelques mares éparses dans la plaine

Nous sommes le 1er avril 1858 et le conseil, réuni sous la présidence du très lyrique maire Samuel Victor Houdart assisté, conformément à la loi, de deux des Drancéens les plus imposés, M. Bossu et Loichet, se décide enfin à prendre le taureau par les cornes. Voici en eet de longues années que la question de l’eau potable est le sujet récurrent de plaintes répétées des habitants.

Histoire d’eau

La situation est compliquée, mais pas unique. Imaginez celle de Paris, qui en 1859 allait s’agrandir presque jusqu’aux limites actuelles, et son million et demi d’habitants ! Le 19e siècle fut celui de la bataille de l’eau et de l’assainissement, car avec le déplacement des populations dû à la révolution industrielle et l’exode rural, il fallait assurer le développement de sa ville, mais aussi un minimum de santé publique.

Nous buvons 90 % de nos maladies

expliquait Pasteur.

Ainsi, en 1832, 1849 et 1853 une épidémie de choléra ravagea la France, Paris compris : les boues noires des pavés, les fuites des fosses d’aisance et les souillures des cimetières polluaient l’eau des puits peu profonds.

À Drancy, la décision fut donc prise : il fallait creuser un puits artésien,

considérant que la privation d’eau potable est un fléau dont le pays souffre depuis trop longtemps, et que ce sera toujours un obstacle à l’augmentation de la population que devra nous amener l’établissement de la station projetée entre Drancy et Le Bourget de la ligne de chemin de fer de Soissons.

Ce type de puits est assez simple: l’eau, captée à une centaine de mètres, entre deux couches solides pour éviter les pollutions, remonte dans une canalisation avec la pression.

Un emplacement méconnu

Où était-il situé? Les archives ont gardé la trace de la "place publique", sans doute celle de la mairie et de l’église, mais il ne figure sur aucun plan. Néanmoins, une délibération de mai 1856, donc avant le forage réalisé en 1859, indique que des recherches venaient d’être menées dans le

chemin vicinal des Marais [l’actuelle rue Anatole France], où des anciens de la commune annonçaient avoir connu une source.

Il est donc aussi possible que ce puits fut creusé vers l’emplacement de l’église Sainte-Louise actuelle.

Drancy - où l’on trouvait encore le ru de la Molette, de nombreuses mares et des puits dans toutes les fermes - avait dorénavant de l’eau potable. Enn, pas tant que cela puisqu’en février 1866, on constatait que le puits

n’a pu nous donner de l’eau potable qu’à 4,5 mètres en contrebas du sol, ce qui a nécessité l’établissement d’une pompe dans le tube du puits.

Au final, on ne peut aspirer que "5 à 6 sceaux de continu" et "les sables de la source engorgent le tube". En conclusion, on décide de construire, en contrebas du niveau de l’eau, un réservoir de 6 mètres de profondeur, en meulière, doublée sur la partie basse d’un contrefort en béton.

Il fallut encore désensabler le tout en 1874 et changer la pompe hors d’usage l’année suivante. Mais on ne pense pas toujours à tout. En 1882, force est de constater que,

dans les années humides, les eaux étrangères suintent au travers des parois supérieures non doublées de ciment, communiquant à la bonne eau leurs mauvaises propriétés et la rende impropre aux usages culinaires.

On bétonne donc le haut du réservoir et on en prote pour désensabler à nouveau, changer la pompe et remplacer les dalles

usées par les pieds des ménagères qui viennent à l’eau.

Enfin, des robinets !

En septembre 1889, il faut pourtant se rendre à l’évidence : la population, en 10 ans, vient de doubler, passant de 500 à 1000. On ne peut plus se contenter du puits artésien. La Municipalité reprend alors contact avec la Compagnie des eaux, puisque, quatre ans auparavant, on avait abandonné l’installation de l’eau courante à Drancy : la construction du premier groupe scolaire venait de mettre à mal les finances de la ville.

Mais on avance à pas feutrés. En août 1892, on se demande si

l’eau de la Marne peut être contaminée par l’adjonction de l’eau de la Seine, et par conséquent une cause de danger pour la santé publique.

Quelques mois auparavant, c’était un conflit avec la société des chemins de fer du Nord qui avait retardé le projet.

Finalement, c’est en 1893 que 8 conseillers sur 10 votèrent la reprise des négociations et tout était signé en 1894. L’installation de l’eau à Drancy pouvait débuter.