Entrée en gare

L’histoire de l’implantation du chemin de fer à Drancy au milieu du 19e siècle mérite d’être contée : elle signe l’entrée de la ville dans le monde moderne.

Le Baron de Ladoucette ne voulait pas "que cette stupidité sans lendemain" traversât sa ville. S’il ne fut pas un visionnaire concernant le chemin de fer, on peut souligner qu’il n’était pas le seul. Savez- vous pourquoi les gares de Tours ou d’Orléans sont implantées en dehors de ces villes ? Depuis la création de la première ligne pour voyageurs, entre Paris et Versailles, inaugurée en 1837, la peur de la nouveauté bat son plein : le train, ça donne des troubles de la rétine et de la respiration, ça provoque des maladies nerveuses et des fausses couches.

Et en plus, ça fait pourrir les cultures, ce qui serait très dommageable au nord-est de Paris à cette époque très agricole. Même le grand scientifique François Arago estimera que les tunnels sont un danger à cause des températures et du bruit. Si le Baron voyait d’un mauvais œil l’arrivée du train, ce n’était pas l’avis du conseil municipal qui, au contraire, sans l’attendre avec impatience, espérait que cette nouveauté pourrait lui apporter un peu plus de prospérité. En fait, personne ne savait encore bien à quoi pouvait servir un chemin de fer.

Pourtant, les toutes premières lignes avaient été construites entre 1828 et 1834 dans la région de Saint-Étienne et Lyon. Elles servaient à transporter exclusivement du charbon : les locomotives tractaient les wagons sur les pentes douces et les plans horizontaux. On utilisait encore les chevaux et les bœufs sur les fortes montées et, dans les descentes, la pesanteur du train.

Projet "Paris – Drancy – Soissons"

Il faudra attendre 1842 pour connaître le véritable coup d’envoi de la construction de lignes à travers la France et c’est en 1854 qu’une ligne de Paris à Soissons est envisagée. Le conseil municipal de Drancy est alors consulté.

15 juillet 1855

Le président expose au conseil qu’une enquête est ouverte sur 3 projets de chemin de fer de Paris à Soissons. Que parmi ces trois projets, dont deux n’intéressent pas la commune, il y en a un qui traverse le territoire de Drancy, avec1  station sur le même territoire entre Drancy et Bondy (…).

Dans tout le parcours entier de cette ligne, les moyens de transport sont difficiles. Ce serait donc, depuis Paris jusqu’à Soissons, donner la vie et la prospérité dans des localités déshéritées qui ne demandent que des moyens de transports plus faciles.

En 1860, le premier tronçon, jusqu’à Sevran, est mis en service. La ligne jusqu’à Soissons sera ouverte deux ans plus tard.

Nous sommes en pleine période d’industrialisation et le transport de marchandises et de matières premières devient vital pour le développement du pays. Si l’industrie sucrière, grâce aux champs de betteraves de la région de Soissons, trouve un intérêt particulier dans la création de cette ligne, c’est aussi le cas pour les entreprises qui, peu à peu, s’implantent au milieu du XIXe siècle aux frontières de Drancy, vers Le Bourget. On notera que certaines d’entre elles n’étaient pas les bienvenues.

Ainsi, en septembre 1858

Le conseil proteste contre l’établissement de la Poudrette, projeté par Mrs Tramon et Ginet. Le chemin de fer de Soissons va donner, par la station de Drancy, une vie nouvelle à cette commune et à celles environnantes. Il serait malheureux de la voir étouffée dès sa naissance par les émanations infectes de l’établissement projeté

Rappelons que La poudrette, qui s’installera sur les terrains aujourd’hui occupés par ELM Leblanc, rue de Stalingrad, fabriquait de l’engrais en traitant les boues et vidanges parisiennes. On imagine l’odeur fleurie qui devait alors flotter dans l’air !

L’arrivée du triage à Drancy

Paris est alors en pleine expansion (La Villette sera, par exemple, annexée en 1859) et s’urbanise avec les travaux d’Haussmann. Pour faire de la place, le triage des marchandises est alors repoussé dans les campagnes proches. Dès 1863, vont donc débuter les activités de triage à Drancy, ce qui changera pour toujours le visage du petit village rural.

La ligne de Soissons servira également pour les voyageurs. La gare, dite du Bourget, est prévue dès les origines. Elle est construite sur le territoire drancéen puisque ce n’est qu’en 1877 que cette partie de la ville, au-delà des voies ferrées, sera annexée au Bourget.

Pourtant, dès le début, on se bataille sur le nom de cette gare

La station se trouvera sur le territoire de la commune de Drancy. C’est pourquoi le conseil municipal se croit en droit de demander que cette station porte le nom de station de Drancy, ou si l’on veut adjoindre le nom du Bourget, qu’elle s’appelle station de Drancy Le Bourget

Cette gare, bien plus proche des premières habitations du Bourget que du petit village de Drancy, situé à deux kilomètres, changera de nom au fil des décennies.

Au nord de la ville, une halte sera établie en 1868 à côté de la route des Marais (rue Anatole France) et de son passage à niveau. Mais le trafic ferroviaire augmentant rapidement, une nouvelle gare sera construite et inaugurée en 1912. Elle existe toujours, en contrebas, à droite après le pont, en allant vers le Blanc-Mesnil.

Elle fut pourtant rapidement abandonnée : le nombre de voies augmentant avec l’accroissement des activités de triage, elle s’est retrouvée perdue au beau milieu des voies. Et, cette fois encore, il fallut se battre pour que le nom de Drancy lui soit accolé.